Chantal STOMAN

ÇA A ÉTÉ

Encore un effet imprévu du confinement. Cette parenthèse a conduit beaucoup d’entre nous à prendre du recul pour penser à ce qui valait vraiment dans nos vies, et à la possibilité de la mort – tout à coup si intrusive dans le quotidien. La photographe Chantal Stoman a perdu, dans cette période, une de ses tantes. Elle s’est rendue à l’enterrement dans le vieux cimetière de Bagneux, en région parisienne. Là, elle a remarqué, en femme d’image, les très anciens médaillons de céramique qui ornaient certaines tombes. […] La photographie, comme le rappelait Barthes dans La chambre claire, est attachée à la mort. Elle dit toujours : “ça a été“. Tous ces visages, sertis dans des médaillons blanchâtres, abîmés, parfois illisibles, disent tous, à leur manière, “ça a été“. Mais leur déclaration progressivement s’éteint. Le soleil, la pluie, le froid, la chaleur, le temps qu’il fait, mais aussi le temps qui passe, dissolvent ces portraits. Dans une sorte de ‘fading“ lent, ils s’évanouissent, par le même mouvement qu’ils ont un jour été “révélés“.
 
[…] La mort de l’image redouble la mort. Ainsi les hommes ne peuvent demeurer. Tout doit retourner au néant. […] Peut être la photographe s’est-elle même confusément insurgée devant cette seconde disparition. Tout à coup, il lui est apparu impérieux de freiner l’œuvre, ou plutôt le “désœuvrement“, du temps, la manière dont il détruit ce qui un jour a été.. Un temps qui “passe“, c’est-à-dire traverse, s’accumule dans la manière de l’image céramique et c’est cela qu’il faut donner à voir. Ainsi elle ferait œuvre de conservation curative : un geste qui préserve, sans les réparer, les traces matérielles du temps.[…] Ainsi la boucle serait bouclée pour ces êtres, “révélés “ par la photographie, puis “effacés “ par le temps, et de nouveau repris et célébrés sur une plaque de céramique, matière du souvenir, pour les retenir ici encore un peu…Ce travail qui est une réflexion en acte sur l’image photographique, conduit également une rêverie sur les manières – chimiques, organiques, minérales – et sur le savoir-faire, celui du photographe mais aussi celui du maître céramiste. Ce sont les deux cimetières de Bagneux et de Pantin – autre grand et beau cimetière où l’on trouve de nombreux médaillons – qui formeront le cadre de cette quête.
 
Thierry Grillet,
Écrivain, commissaire d’exposition

Walking Distance

L’Image Culte

Omecitta

En dépit de son nom poétique, Ōme « la prune bleue » est une petite ville un peu morne de la grande banlieue de Tokyo. Loin, très loin du tapis rouge et des paillettes du Festival de Cannes. Pourtant, à Ōme, le cinéma est partout : sur les devantures des commerces, les frontons des bâtiments, les grilles de parking, les murs des immeubles, la ville est tapissée de panneaux peints représentants des affiches de cinéma. Les habitants déambulent entre Lawrence d’ArabieÀ l’est d’EdenLa StradaCasablancaBonnie and Clyde… Un magnifique voyage dans un glorieux passé qui dévoile le Japon mystérieux et cinéphile des années 1940. Au lendemain de la guerre, la ville comptait trois cinémas spécialisés dans la projection de films d’Art et d’Essai nationaux et internationaux, ce qui fit de Ōme le paradis des cinéphiles japonais. Et pourtant, dans les années 1970, avec l’arrivée de la télévision, la fréquentation des cinémas déclina et les salles fermèrent leurs portes, laissant comme seuls témoins de l’ancienne cinéphilie des centaines d’affiches de films.

Puis, dans les années 1990, la mode rétro arrivée, la ville décida de faire revivre ce passé en exposant dans les rues une centaine de reproductions des affiches peintes par un artiste local, Bankan Kubo. 

En automne 2017, éblouie par la découverte de Ōme et de ses panneaux peints, fascinée par ce voyage dans le temps, Chantal Stoman démarre Ōmecittà. Ōmecittà est l’histoire d’un rapport exceptionnel avec le passé, la mémoire et l’art, mais l’histoire aussi d’un déclin. Immédiatement publié dans Le Monde, la photographe réalise l’enthousiasme que ce travail provoque et décide alors de retourner à Ōme poursuivre ce projet. Ōmecittà est donc la rencontre entre une artiste française passionnée par le Japon et le cinéma, et une ville éblouissante, la Cinecittà nippone. Mais c’est également le récit d’une exaltation, celle pour le cinéma, évaporée avec le passage de l’Homme et s’inscrivant pleinement dans son identité. Ōmecittà est fondé sur l’absence, absence qui crée notre imaginaire et contribue à le transformer. Les images prises à Ōme reposent dans cette dialectique entre ce qui est rendu visible et ce que ce visible témoigne de l’absence. Photographier la ville à Ōme, c’est partir à la recherche du temps perdu.

Expositions

2022

Révélations (exposition collective)

PARIS PHOTO Foire

10.11.2022 – 13.11.2022

Mémoires effacées (duo show)

Galerie Sit Down

23.09.2022 – 29.10.2022

2019

Eternelles

Galerie Sit Down

06.06.2019 – 19.07.2019

Biographie

Chantal Stoman est une photographe française qui vit à Paris.
Son travail s’inscrit dans une démarche qui repose sur une observation approfondie des rapports entre l’Homme, son intimité, et la Ville.

Débuté avec A WOMAN’S OBSESSION, observation de la relation particulière que les femmes japonaises entretiennent avec le luxe et la mode, elle élargit ensuite sa focale avec LOST HIGHWAY, A PHOTO PROJECT. Réalisé sur les flyovers des grandes villes du monde c’est un voyage dans l’intimité furtive de l’humanité qui se cache au cœur des grandes villes. Depuis les autoroutes aériennes de Tokyo, Sao Paulo, Le Caire, Hong Kong, Bombay, LOST HIGHWAY raconte cette part commune à toutes les grandes citées, là où les frontières n’existent plus.

Sa passion pour le contemporain, et son incarnation la plus massive – la «ville monde», en extension continue de Tokyo jusqu’à Sao Paulo – n’ont pas entamé la sensibilité de son regard pour la ville verticale, celle qui se donne à voir et à vivre dans l’épaisseur du temps.

Le travail que Chantal Stoman a ensuite réalisé à Rome avec L’IMAGE CULTE puis à Jérusalem, avec le projet WALKING DISTANCE témoigne de son tropisme vers les «villes mythes».

Ces villes qui racontent, dans le profond, une histoire et qui font l’Histoire. L’attention au détail, – la traque d’un sens, logé parfois dans une boîte aux lettres – introduisent une interrogation, une réflexion, un suspens poétique, ajoutant à la photographie la promesse d’une suite.

En 2016, invitée en résidence au Cambodge Chantal Stoman travaille Le projet VIEWS, Phnom Penh , se plongeant dans l’intimité de la ville, la nuit. Le projet a fait l’objet d’une installation monumentale lors du Mois de la Photo du Grand Paris. Le livre VIEWS  est publié par les éditions Rue du Bouquet. Depuis 2017, Chantal Stoman se consacre à OMECITTA, un projet ayant bénéficié du soutien du CNAP grâce au dispositif de l’aide à la photographie documentaire. Un documentaire filmé est également en cours.

Presse

  • Théo Bellanger, “Galerie Sit Down – Remember the future“, Zone critique 14 octobre 2022
  • Philippe Pons, “Écran total“, M Le magazine du Monde, 27 mai 2017
  • Véronique Groussard, “Ôme, le bonheur perdu du cinéma“, Téléobs, n°2929, 17 décembre 2022
  • “Se retrouver à Ôme“, Talmudiques, par Marc-Alain Ouaknin, Radio France, 24 janvier 2021
  • Patricia Lanza, “Chantal Stoman : Ômecitta“, L’Œil de la photographie, 5 mars 2020
  • “Un autre regard sur l’éternité“, Talmudiques, par Marc-Alain Ouaknin, Radio France, 30 juin 2019
  • “20 must-read books for fall“, Vogue, 12 octobre 2016
  • Francesco Angelucci, “Chantal Stoman a Roma“, Insideart, 1 octobre 2014“Chercher des lumières dans la nuit : “Views“ par Chantal Stoman“, Les Petits Matins, par Emilie Chaudet, Radio France, 7 avril 2017
  • “ACR – Lost Highway“, L’Atelier de la création I 14-15, Radio France, 1 novembre 2012
  • Alessandro Marazzi Sassoon, “Looking for the light, night after night“, The Phnom Penh Post, 26 août 2016
  • Bruno Icher, “La piste Nuit blanche“, Libération, 21 octobre 2009