Florian RUIZ*
Florian RUIZ
Onikuma
Au Japon, dans la région de Nagano, subsiste la légende d’une créature maléfique mi démon (oni) mi ours (kuma). L’Onikuma est un ours gigantesque capable de marcher sur ses pattes arrières comme les humains. Il serait doté d’une force exceptionnelle et pourrait déplacer des rochers que dix hommes réunis ne pourraient pousser. Les légendes disent qu’il descendrait parfois des montagnes la nuit pour enlever dans les villages, les chevaux qu’il dévore ensuite dans sa grotte.
Dans ces forêts enneigées, j’ai décidé de mener une quête photographique à la recherche de la présence invisible de cet animal mythologique en utilisant des procédés d’imagerie scientifique. A l’aide de superpositions d’images capturées avec les procédés techniques des caméras nocturnes pour saisir de nuit le passage fugace de l’animal et de la vision thermique afin d’enregistrer les ondes de chaleur émises par son corps, j’ai cherché à constituer un paysage qui rend accessible ce que nos yeux ne peuvent voir. Et ainsi rendre possible un dévoilement de l’invisible, une rencontre avec cet animal mythologique.
Onikuma nous plonge dans ces forêts mystérieuses, dans des paysages aux frontières de l’invisible, de l’imaginaire et de l’irréel.
Utilisant des procédés d’imagerie scientifique dans la photographie de paysage, cette approche permet d’appréhender le réel d’une façon inhabituelle, rendant visible d’autres réalités. Dans ce projet, la photographie est un jeu de construction, un lieu d’expérience qui s’affranchit du réalisme et du désir d’imiter les apparences afin de rendre perceptible l’invisible.
Florian RUIZ
Un voyage chamanique
Le chamanisme au Japon, issu des sociétés traditionnelles sibériennes, est encore très présent dans certaines régions, notamment sur l’île d’Hokkaido. Cette pensée religieuse se fonde sur l’animisme et reconnaît l’existence d’une âme chez tous les êtres vivants, les objets, les phénomènes et les éléments naturels appelés kamui. Le chamanisme a une représentation dualiste du monde. Il existerait ce monde-ci, visible, quotidien, profane, et des mondes-autres: le monde des dieux, des esprits, des ancêtres… Le chamanisme ne considère pas ces mondes séparés et suppose la possibilité d’établir des passages avec le monde-autre.
C’est dans ces régions imprégnées de pensées animistes et peuplées de mondes différents que Florian Ruiz a voulu donner à voir, percevoir un paysage chamanique, un monde flottant, non figé, indécis. Il a voulu révéler un monde possible, un paysage où s’entrelacent les espaces différents de la pensée chamanique.
Par un procédé numérique, Florian Ruiz a ainsi créé un paysage où ces mondes se superposent, s’entremêlent où les formes s’évaporent et parviennent parfois à l’abstraction. Paysages où des percées de réels tels qu’on se le représente peuvent apparaître, surgir de ce monde en mouvement.
Dans ce travail Florian Ruiz a voulu interroger la représentation du réel et de l’invisible dans la photographie de paysage en invoquant ce qui s’adresse à l’imagination et ce qui s’adresse à l’œil.
Le titre de chaque photographie correspond à la géolocalisation de l’espace chamanique.
Dans son travail, Florian Ruiz met à mal une forme de tyrannie du visible et, grâce à des superpositions d’images, obtient des vues paysagères faites de perspectives brisées et de palimpsestes visuels qui rejoignent les préceptes de l’esthétique extrême-orientale, où le visible est un état transitoire engendré par le fond indifférencié. Loin d’affaiblir le médium, ces pratiques hétérogènes permettent de vivifier notre lien avec le monde et ses réalités.
Héloïse Conésa (conservatrice du patrimoine responsable de la photographie contemporaine au département des estampes et de la photographie de la BnF).
Dans les paysages enneigés des hauteurs de Fukushima, j’ai photographié durant quatre hivers la présence de la contamination radioactive. Inspiré par l’épure et le dispositif de panneaux des estampes, j’ai saisi les impressions fugitives, la perception changeante de la nature. Nature où se fixe le plus la radioactivité.
Équipé d’un compteur Geiger, j’ai mesuré la présence de la contamination radioactive en Becquerel (Bq), unité qui exprime le nombre de désintégration et de mutation d’atomes à la seconde.
Par un procédé de superposition d’images, je mets en image cette altération de l’atome dans mes photographies. Les effets de transparences, les perspectives brisées donnent naissance à des formes en mouvement, un monde de l’impermanence comme dans les estampes traditionnelles. Je crée ainsi une vibration, une déformation du réel, une mutation des paysages afin de révéler la présence de la radioactivité. Procédé qui crée le sentiment de vertige, de malaise, d’un danger menaçant caché derrière la pureté du blanc des paysages.
Comme la blancheur inquiétante de Moby Dick, blancheur objet de terreur pour l’Homme, la pureté du blanc contraste avec la présence de la souillure invisible de la radioactivité.
Florian Ruiz
Florian Ruiz présente Projet 596, un travail photographique réalisé de 2014 à 2019, au sein duquel l’ancien lac salé Lop Nor est au coeur de sa réflexion. Situé dans la province de Xinjiang au nord-est de la Chine, ce lac presque asséché aujourd’hui servit de site d’essais d’armes nucléaires de 1964 à 1996. Le premier essai de bombe nucléaire chinois en 1964 fut baptisé « Projet 596 ». De nos jours, la région est encore très contaminée et la Chine a reconnu en 2008 l’existence de graves problèmes de santé parmi les civils et les militaires en raison d’une exposition aux radiations. Dans cette série, Florian Ruiz révèle la présence du danger de la radioactivité à l’aide d’un compteur geiger. Il désire montrer, par un processus numérique, une réalité modifiée par la présence invisible de la radioactivité. Ce processus réinvente et tord le paysage afin de révéler la présence du danger menaçant. Florian Ruiz réussit ici à sublimer la laideur de ces grands espaces, créant de sublimes paysages bleu-ciel.
Projet 596 est une série résolument représentative des atmosphères. Le photographe traduit un univers subjectif d’impressions: l’image est présente afin de traduire l’émotion, le sentiment qu’un paysage peut nous donner. Florian Ruiz nous montre des paysages résultant d’un monde chaotique et instable, tout en soulignant la permanence de la beauté.
Expositions
2022
Seiiki
Paris Photo
10.11.2022 – 13.11.2022
La Contamination blanche
Haute Photographie, Amsterdam
15.09.2022 – 18.09.2022
Seiiki
Art Paris (Grand Palais Ephémère)
07.04.2022 – 10.04.2022
2021
La Contamination blanche
Art Paris (Grand Palais Ephémère)
09.09.2021-12.09.2021
2020
Project 596 – La Contamination blanche
Photo LA
30.01.22 – 02.02.2022
2019
La Contamination blanche
The Photography Show by AIPAD fair, New York
04.04.2019 – 07.04.2019
2018
La Contamination blanche
PARIS PHOTO
08.11.2018 – 11.11.2018
Biographie
Après des études de droit et d’histoire, Florian Ruiz développe une approche documentaire du monde social désespéré marqué par la désillusion. Il photographie l’intimité des chambres des prostituées au Pakistan, les lieux de démantèlement de navires au Bangladesh, il raconte l’histoire d’une ville minière mongole.
Installé depuis dix ans à Tokyo, marqué par le désastre de Fukushima, dans ses travaux récents, il cherche à interroger la Photographie en utilisant l’assemblage, le collage, la distorsion afin de mettre en image le danger invisible de la radioactivité. Son travail a fait l’objet de nombreuses publications (Le Monde Magazine, Magazine European Photography …) et a été récompensé par plusieurs prix: Sony World Photography, QPN Award, Bourse du Talent, Felix Schoeller …)
Presse
- “Distorted images of radioactive sites – Florian Ruiz“, ART DOC Photography Magazine, 2021
- “Sony World Photography Awards: l’observatoire de la photo mondiale“, Réponse Photo, n°385, 2018
- “The White Contamination“, Lensculture, 2018
- Float Magazine, 2017
- “La vie volée d’Alep“, Le Monde Magazine, décember 2016
- “Mirage Cities“, Prism photo magazine #23, 2016
- Aint-Bad Magazine, 2015
- “Fukushima à vue d’œil“, Tenten Magazine #2, 2015
- “Florian Ruiz“, Dohdo Magazine, 2015
- “Contamination road“, Positive Magazine, 2015
- “Florian Ruiz“, Silvershotz Magazine, 2014
- “Fukushima, invisible pain“, ArtPhotoMag, 2014
- Dodho Magazine, 2014
- “The end of the worl / a new beginning issue“, TWTGE Magazine, 2014
- “Les Coups de cœur de Damien et Florence Bachelot“, L’Oeil de la photographie, 2019
- “Nos coups de cœur de la Bourse de Talent 2017“, Beaux Arts Magazine, n°437, 2018
- Photo parlée. Florian Ruiz : Fukushima, le mal invisible de la radio-activité, Culture Box, France TV info